IMAVOCATS : Entreprises en difficulté - Cass. com., 22 sept. 2021, n° 20-12.238
L’action en indemnisation d’un associé pour la perte d’un apport en capital est irrecevable, faute de préjudice personnel, distinct de celui de la collectivité des créanciers
En principe, en matière de liquidation judiciaire, le liquidateur a seul, qualité pour agir au nom et dans l’intérêt collectif des créanciers. Il est seul compétent à agir en protection ou en reconstitution du gage commun des créanciers Articles L. 622-20, alinéa 1er et L. 641-4, alinéa 1er et 4). Ceci se justifie par l’intérêt collectif qu’il représente et défend.
Corrélativement existent des actions attitrées dites individuelles pour les créanciers privés qui dispose donc d'un droit à agir sous réserve que soit démontrée un préjudice personnel. L'intérêt n'est plus ici collectif mais bien individuel. L’on s’en remet alors à l'article 31 du Code de procédure civile relatif à l'intérêt pour agir. Doivent néanmoins être réunies les conditions classiques d'une action en indemnisation d'un préjudice personnel et direct.
C'est dans ce cadre juridique que s'inscrit la présente espèce dont les juges se sont interrogés quant à la nature d'une action en indemnisation relative à la perte de l'apport en capital d'un associé à l'encontre d'une société tierce responsable de la liquidation de la société qu'il dirige.
En reformulant : la perte d'un apport en capital est-elle un préjudice personnel de l'associé dirigeant ouvrant droit à une action individuelle où s'agit-il d'un préjudice collectif dont le monopole de la qualité à agir revient au liquidateur judiciaire en vertu du droit des procédures collectives ?
L’espèce :
En l'espèce une société est constituée avec un apport en capital à hauteur de 200 000€ afin d’exploiter un point de vente sous l’enseigne Bazarland. Une convention de partenariat est conclue entre ladite société et la société qui exploite cette enseigne. Les parties prévoient en ce sens au sein de la convention, une obligation d'assistance au démarrage de l'activité de la première par la seconde
Rapidement après son démarrage la société est placée en liquidation judiciaire et l'associé dirigeant, tiers à la convention de partenariat, assigne la société exploitant l’enseigne en réparation du préjudice financiers qu'il aurait subi à titre personnel en raison de l'impossibilité d'obtenir le remboursement par la société de son apport en capital précité.
La cour d'appel fait droit à l'associé, constatant un préjudice personnel subi et valide ainsi le fondement extra contractuelle de son action (rappelons qu’il est un tiers à la convention de partenariat et qu’il peut se prévaloir de manquements contractuels lui causant un préjudice).
La cour de Cassation accueille le pourvoi et casse l’arrêt d’appel au visa des articles L. 622-20 et L. 641-4 du Code de commerce au motif que « le préjudice invoqué, n’est qu’une fraction du préjudice collectif subi par l’ensemble des créanciers de la société Distri Da, en liquidation judiciaire, [...] seul le liquidateur était recevable à demander réparation »
Portée
La solution n’est pas totalement inédite et s’inscrit plutôt dans une lignée jurisprudentielle.
Néanmoins, cet arrêt a le mérite d’affiner la qualification du préjudice résultant d’un apport en capital. Le critère matériel de départage de l’action collective ou individuelle réside ainsi dans le caractère personnel ou collectif dudit préjudice dont l’indemnisation est demandée.
L'on comprend dès lors que la perte des apports constitue un amoindrissement voire une disparition du capital social. Cette perte est subie collectivement par tous les créanciers sociaux. La cour l'affirme ici sans équivoque : le préjudice est collectif.
Dès lors, s'appliquent les articles L. 622- 20 et L. 641-4 du Code de commerce et il revient au liquidateur judiciaire, en vertu de son monopole de représentation, d’agir pour la défense de cet intérêt collectif. À l'inverse l'action en indemnisation de l'associé dirigeant est irrecevable faute de qualité pour agir.
La Cour de cassation innove plus dans sa motivation que dans sa solution. En effet, en sus de faire appel à une notion de « passif collectif », elle opère une articulation, peut-être absconse, entre le critère du préjudice subi et la reconstitution du gage commun.
En somme, toute action en défense du gage commun des créanciers relèvera du monopole sus évoqué. Il revient aux conseils des associés, dirigeants et créanciers de clairement identifier ce gage commun atteint, que la cour nomme parfois « patrimoine collectif » avant de procéder à toute action en indemnisation. A défaut, la jurisprudence est désormais claire sur ce point l'action est irrecevable pour défaut de qualité pour agir.