La signification du silence en droit des entreprises en difficulté
Cass com, 29 septembre 2021, n°20-10.436
La Cour de cassation précise par un arrêt du 29 septembre 2021 la valeur du silence des créanciers dans le cadre des procédures collectives lors de la modification d’un plan de redressement. Dans la pratique, cette décision alerte les praticiens du droit qui doivent faire preuve de vigilance quant à l’appréciation d'un tel silence.
En l’espèce, une société débitrice saisit le tribunal en vue d’obtenir la modification d’un plan de redressement arrêté plusieurs années auparavant. Elle propose une révision des modalités d’apurement du passif. Le greffier en informe les créanciers concernés. L’un d’eux n’ayant pas répondu dans le délai prévu de 15 jours, la débitrice demande au juge de considérer qu’il s’agit d’une acceptation tacite de la proposition de modification.
Les juges d’appel déboutent la société de sa demande au motif que ce silence ne peut valoir acceptation tacite puisqu’elle n’a pas le pouvoir d’imposer une remise de dette au créancier au stade de la modification du plan.
La même société débitrice forme un pourvoi en cassation en invoquant une violation des articles L. 626- 5, L. 626-26 et R. 626-45 du Code de commerce. Elle argue, en opposition aux juges du fond, que le silence litigieux valait acceptation.
Le silence du créancier consulté sur une proposition de modification des modalités d’apurement du passif du plan de redressement équivaut-il à une implicite acceptation ?
La chambre commerciale, rejette le pourvoi et confirme la proposition des juges du fond au motif que « distinguant la consultation des créanciers par le mandataire judiciaire lors de l’élaboration du plan, prévue par le premier des textes précités, et leur information par le greffier sur une proposition de modification du plan portant sur les modalités d’apurement du passif, prévue par le dernier texte, la cour d’appel a retenu que, si, dans le premier cas, le défaut de réponse d’un créancier au mandataire judiciaire vaut acceptation des délais ou remises qui lui sont proposés, il n’en est pas de même dans le second, aucune disposition légale ou réglementaire ne déduisant de l’absence d’observations adressées au commissaire à l’exécution du plan par un créancier l’acceptation par celui-ci de la modification proposée ».
L’on comprend l’importance de la distinction légale entre la consultation des créanciers pour l’élaboration du plan et pour sa modification. Cette différence, quant à la problématique du silence, réside en ce qu’il est prévu légalement pour la première que tout silence vaut acceptation. Inversement, les dispositions législatives et règlementaires relatives à la modification du plan sont muettes sur ce point.
➜L’interprétation stricte des exceptions au principe selon lequel le silence ne vaut pas acceptation :
Le droit commun des contrats article 1120 du Code civil : le silence ne vaut pas acceptation. Il est donc de principe. Dès lors, il revient au législateur de prévoir les seules exceptions admises. C’est le cas de la consultation des créanciers sur des délais de paiement et remises de dettes dans le cadre de l’élaboration du plan, la loi prévoit une exception en donnant au silence valeur d’acceptation (C. com., art. L. 626-5, al. 2). Mais dans le cadre de l’arrêt étudié, l’article L.626-5 du Code de commerce relatif à la modification du plan n’invoque pas une telle exception. C’est en rapprochant les deux textes que le demandeur a tenté d’étendre l’exception évoquée à la modification du plan.
➜ Peut-on en conclure que le silence des créanciers lors d’une modification du plan vaut refus de celle-ci ?
Parfois le législateur prévoit explicitement que le silence du créancier vaut refus. C’est le cas d’une « conversion en titres donnant ou pouvant donner accès au capital » puisque l’article L.626-5 alinéa 3 du Code de commerce, précédemment visé, ajoute que « Le défaut de réponse, dans le délai de trente jours à compter de la réception de la lettre du mandataire judiciaire, vaut refus ».
Ainsi, il paraît trop absolu de consacrer en principe l’interprétation a contrario de l’arrêt étudié selon laquelle tout silence vaudrait refus en l’absence de disposition législative ou règlementaire.
Il fallait attendre l’intervention du législateur pour répondre à ces interrogations. Ainsi l’article 626-26 du Code de commerce est modifié par l’ordonnance n° 2021- 1193, 15 sept. 2021. Celui-ci prévoira que « Lorsque la demande de modification substantielle du plan porte sur les modalités d’apurement du passif, les créanciers intéressés sont consultés. Le défaut de réponse vaut acceptation des modifications proposées, sauf s’il s’agit de remises de dettes ou de conversions en titres donnant ou pouvant donner accès au capital. Un décret en Conseil d’État détermine les modalités de cette consultation. »
Le législateur résout en partie, et pour le futur, les difficultés évoquées dans l’arrêt d’espèce. La prudence demeure néanmoins de rigueur puisque l’on ne saurait qualifier la valeur d’un silence lors desdites propositions de remises de dettes ou de conversions en titres. Le décret visé par l’article sus-cité ne fournit pas davantage d’explications à ce sujet.