La responsabilité pénale des élus pour délits non intentionnels fait l’objet d’un texte spécial, introduit à l’article L. 2123-34 du Code général des collectivités territoriales créé par la loi n° 96-393 du 13 mai 1996 dite "Loi Fauchon".
Cet article prévoit que la responsabilité pénale de l'élu pour des délits non intentionnels ne peut être engagée que "s’il est établi qu’il n’a pas accompli les diligences normales compte tenu de ses compétences, du pouvoir et des moyens dont il disposait ainsi que des difficultés propres aux missions que la loi lui confie", "sous réserve des dispositions du quatrième alinéa de l'article 121-3 du code pénal".
Il s’agit d’imposer au juge pénal de procéder à une appréciation "in concreto" de la faute reprochées en prenant notamment en considération les moyens qui étaient à la disposition du maire et les difficultés auxquelles il a pu se heurter dans leur mise en oeuvre.
Dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire, c’est bien le 4ème alinéa de l'article 121-3 du Code pénal qui effrayait dans la mesure où il permet d’engager la responsabilité pénale d’une personne qui, sans avoir causé directement le dommage, a violé de façon manifestement délibérée une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement ou a commis une faute caractérisée et qui exposait autrui à un risque d’une particulière gravité qu’elle ne pouvait ignorer.
La première hypothèse concernerait, à titre d'exemple, un maire aurait autorisé la réouverture des écoles sans se soucier d'appliquer le protocole sanitaire (peu probable donc). C’est donc davantage la seconde faute qui est redoutée parce qu’elle semble laissée à l’appréciation du juge, lequel pourrait estimer par exemple que le maire ne se serait pas suffisamment préoccupé de l’application des règles du protocole sanitaire.
Pourtant, le rapport d'informations du Sénat du 5 juillet 2018 intitulé "Faciliter l'exercice des mandats locaux : la responsabilité pénale et les obligations déontologiques" fait apparaître que le juge a su répondre à l'invitation qui lui était faite par le législateur de procéder à une appréciation toujours plus nuancée de la responsabilité, sans pour autant conduire à une déresponsabilisation.
De façon générale, la chambre criminelle refuse de retenir la faute caractérisée du seul fait de l'absence de mesures permettant d'éviter le dommage (Cass. crim., 29 mai 2018, n° 18-81.673 : JurisData n° 2018-009104) et invitent les juges du fond à rechercher en quoi les diligences du mairepour assurer la sécurité n'étaient pas normales et adaptées aux risques prévisibles (Cass. crim., 18 juin 2002, n° 01-86.539, préc. n° 71).
Néanmoins, pour répondre à cette inquiétude l'article 1er de la loi du 11 mai 2020 prorogeant l’état d’urgence sanitaire jusqu'au 10 juillet 2020 a inséré un nouvel article L. 3136-2 dans le Code de la santé publique, ainsi rédigé : "L’article 121-3 du code pénal est applicable en tenant compte des compétences, du pouvoir et des moyens dont disposait l’auteur des faits dans la situation de crise ayant justifié l’état d’urgence sanitaire, ainsi que de la nature de ses missions ou de ses fonctions, notamment en tant qu’autorité locale ou employeur."
Cette disposition prévoit que les faits reprochés susceptibles d’être constitutifs d’une faute pénale doivent être appréciés en fonction des circonstances particulières suivantes : les compétences de l’auteur des faits, ses pouvoirs, les moyens mis à sa disposition, la nature de ses missions, la nature de ses fonctions.
Ce texte a fait l’objet de critiques, relatives notamment à la violation du principe d'égalité devant la loi pénale, qui ont été écartées par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 11 mai 2020 (Décision n° 2020-800 DC du 11 mai 2020).
En définitive, il n’est pas sûr que cette disposition change réellement l’état du régime actuel de responsabilité pénale des élus locaux.
Toutefois, il ne saurait qu'être recommandé aux maires d'assurer une large diffusion des protocoles sanitaires appliqués dans les lieux publics qu'ils choississent de réouvrir et de recourir, lorsque cela est possible, aux services d'ingénieurs qualité afin de faire préalablement certifier ces protocoles.
Léa Durand-Stéphan, Juriste.