Décision n° 2019-794 DC, 20 décembre 2019
Décision n° 2019-823 QPC, 31 janvier 2020
Dans sa décision n° 2019-794 DC en date du 20 décembre 2019, le Conseil constitutionnel a été interrogé sur la conformité de la loi d’orientation des mobilités (L. n° 2019-1428 du 24 décembre 2019) à la Constitution. L’article 73 de cette loi prévoyait divers objectifs : atteindre, d’ici à 2050, la décarbonation complète du secteur des transports terrestres, et, pour y parvenir, la hausse progressive de la part des véhicules à faibles et très faibles émissions parmi les ventes de voitures particulières et de véhicules utilitaires légers neufs, la fin de la vente des voitures particulières et des véhicules utilitaires légers neufs utilisant des énergies fossiles, d’ici à 2040.
Selon les requérants, les mesures prises pour lutter contre la pollution de l’air étaient insuffisantes. En cela, le texte porterait atteinte au droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé consacré par l’article 1er de la Charte de l’environnement.
Les dispositions ici contestées fixaient des objectifs et constituaient donc des dispositions programmatives. Or, l’absence de portée normative des lois de programmation faisait, avant cette décision, obstacle à leur contrôle. Le Conseil constitutionnel a décidé de revoir cette position.
Après avoir rappelé les termes de l’article 1er de la Charte, le Conseil précise que « les objectifs fixés par la loi à l’action de l’État ne sauraient contrevenir à cette exigence constitutionnelle ». Néanmoins, il rappelle également qu’il ne peut opérer un contrôle sur l’opportunité des objectifs fixés par le législateur ce qui signifie qu’il ne peut exercer qu’un contrôle restreint. Il conclut donc que « les dispositions de l'article 73 fixent à l'action de l'État l'objectif d'atteindre la décarbonation complète du secteur des transports terrestres, d'ici à 2050. Cet objectif n'est pas manifestement inadéquat aux exigences de l'article 1er de la Charte de l'environnement ».
Dans cette décision, le Conseil constitutionnel a donc confirmé que l’article 1er de la Charte constituait une exigence de valeur constitutionnelle et procédé à un contrôle restreint de l’adéquation de la loi avec les objectifs fixés par le législateur, ici le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé.
Par ailleurs, dans une décision n° 2019-823 QPC rendue le 31 janvier 2020, le Conseil s’est prononcé sur la conformité à la liberté d’entreprendre de l'article L. 253-8 du code rural et de la pêche maritime prévoyant l’interdiction de la production, le stockage et la circulation de produits phytopharmaceutiques contenant des substances actives non approuvées pour des raisons liées à la protection de la santé humaine ou animale ou de l'environnement. Selon les requérants, cette disposition porterait atteinte à la liberté d’entreprendre et « serait sans lien avec l'objectif de protection de l'environnement et de la santé dans la mesure où les pays importateurs qui autorisent ces produits ne renonceront pas pour autant à les utiliser puisqu'ils pourront s'approvisionner auprès de concurrents des entreprises installées en France ».
Afin de procéder à son contrôle, le Conseil constitutionnel commence par rappeler que la liberté d’entreprendre trouve son fondement dans les dispositions de l’article 4 de la DDHC.
Puis, il reprend les termes du Préambule de la Charte de l’environnement et en déduit que « la protection de l'environnement, patrimoine commun des êtres humains, constitue un objectif de valeur constitutionnelle ». Il rappelle également que la protection de la santé constitue également, en vertu du Préambule de la Constitution de 1946, un objectif de valeur constitutionnelle.
Rappelons que les objectifs de valeur constitutionnelle (OVC) ne constituent pas des droits et libertés invocables directement dans le cadre des QPC. Néanmoins, les OVC doivent être conciliés par le législateur avec lesdits droits et libertés. Le Conseil constitutionnel, à qui il n’appartient pas de remettre en cause l’opportunité des dispositions adoptées par le parlement, contrôle la conciliation opérée par le législateur dans les textes entre les OVC et les droits et libertés.
En l’espèce, dans le cadre de son contrôle de la conciliation le Conseil a d’abord constaté que si la disposition en cause portait atteinte à la liberté d’entreprendre, cette atteinte était en adéquation avec les OVC de protection de l’environnement et de la santé (la disposition était prise dans un but de protection de l’environnement et de la santé). D’autre part, le Conseil a constaté que le législateur avait également adopté le principe d’un délai de trois ans pour laisser le temps aux entreprises de s’adapter, ce qui constitue un effort de conciliation entre la liberté d’entreprendre et les OVC de protection de l’environnement et de la santé.
Le Conseil a déduit de ce contrôle que « le législateur a assuré une conciliation qui n'est pas manifestement déséquilibrée entre la liberté d'entreprendre et les objectifs de valeur constitutionnelle de protection de l'environnement et de la santé » et déclare la conformité de la disposition à la Constitution.
Il ne convient pas d’en déduire que le législateur peut exercer n’importe quelle entrave à la liberté d’entreprendre au motif de la protection de l’environnement et de la santé. Néanmoins, la consécration par le Conseil constitutionnel de la protection de l’environnement « patrimoine commun des êtres humains » au titre des OVC permet au législateur de porter une atteinte proportionnée à la liberté d’entreprendre au nom de la protection de l’environnement entendue de manière universelle.
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Ces deux décisions ont le mérite de préciser que le législateur doit tenir compte, d’une part, des exigences de valeur constitutionnelle, au rang desquelles figure à présent le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé, dans l’élaboration des objectifs qu’il assigne à l’État. D’autre part, le législateur doit également tenir compte, dans son processus d’élaboration de la loi, des objectifs de valeur constitutionnelle, au rang desquels figure la protection de l’environnement prise dans une acception universelle.
Lucrezia Mothere, Docteur en droit